Conclusion

Deux ou trois choses encore ...

"Réaliser un parcours poétique qui raconte une histoire et n'amène l'information que lorsque les portes de l'émotion sont ouvertes."

J.L. Pivin, scénographe

Au fur et à mesure de l'avancement de notre réflexion sur la "pratique de la signalétique d'interprétation", nos idées ou opinions se sont clarifiées, et d'autres nous ont plongés dans le doute.
À la lumière aussi d'une pratique "sur le terrain", en participant à des réalisations, deux ou trois idées sont venues s'ajouter à l'ensemble.
Ce domaine est trop neuf pour que quiconque aujourd'hui puisse invoquer une solide expérience. Ne dit-on pas que pour réussir la construction d'une maison, il faut en avoir déjà construit deux ou trois auparavant ? Sans doute en va-t-il de même pour la réalisation de parcours d'interprétation.

à propos du mobilier
Le mobilier-support est l'entremetteur entre le site, le contenu du message et le visiteur. Le choix d'un style de mobilier nous est apparu comme l'étape la plus délicate d'un projet. Le résultat, réussi ou raté, encombrera le paysage pendant des années. Lourde responsabilité pour un chef de projet. Ce problème, qui n'était pas le sujet central de notre étude, mérite une analyse détaillée à lui tout seul. Si l'étude d'un mobilier doit être confiée à un professionnel, il faut reconnaître que ce n'est pas facile d'en dénicher un bon.
La plupart des cabinets de design ont une vocation urbaine. Le design "rural" est encore balbutiant ou inexistant. Au-delà du style ranch ou mur en pierres apparentes, rares sont les exemples probants, particulièrement en France (voir 4.3.6 Mobilier-support).
Si dans les organismes qui gèrent les espaces naturels, on trouve plus facilement des spécialistes en écosystèmes, faune ou flore, en revanche les compétences en matière d'environnement bâti ou d'aménagement paysager sont plus rares.

Il y aurait peut-être là un problème de formation à poser.

à propos du scénario
Les bons parcours d'interprétation sont ceux réalisés à partir d'un scénario original, avec un fil conducte.ur efficace et séduisant. Sinon il ne s'agira que d'informations froides, strictement didactiques, qui n'intéresseront qu'une catégorie de visiteurs. D'où les voeux exprimés en ce qui concerne les qualités d'un chef de projet.
Le scénario doit s'élaborer en commun avec l'équipe de réalisation constituée. Ne pas le prévoir avant, cela transformerait les réalisateurs en exécutants. On se priverait d'une réelle motivation autour d'un projet.

 
  de haut en bas
- Belvédère au Marquenterre parc ornithologique 80120 St-Quentin-en-Tourmont
- Cadre sollicitant le regard aux étangs du Romelaere
- Belvédère au marais de Lavours
   
  Une simple désignation peut être le premier geste de l'interprétation. Geste nécessaire pour éduquer le regard. Selon la forme employée, il peut même être suffisant. La fenêtre, la lucarne, la meurtrière, la longue vue, la tour de Quet, ou le belvédère, sont tous des moyens pour interpréter. A partir de la découverte visuelle, le visiteur posera les questions.
Comment alors donner les réponses ?

complexité ?
L'étude qui s'achève ici s'est efforcée d'aborder tous les problèmes qui surgissent à l'occasion d'un projet. Notre démarche s'est calquée sur une attitude qui nous a semblé logique.
Après une réflexion de fond sur les principes de l'interprétation, conduite par Jean-Pierre Bringer, nous avons visité et examiné en détail plusieurs réalisations dans divers espaces naturels, puis nous avons mis en chantier un projet fictif en simulant une véritable démarche pas à pas, aussi proche de la réalité que possible.
Nous nous sommes imposés une méthodologie globale. Tous les problèmes ont été abordés simultanément, et toutes les solutions n'ont pu éclore qu'au terme d'approches successives. Cela pourra paraître complexe, nous sommes obligés d'en convenir.
Cette complexité est réelle, autant que la réalisation d'un film, c'est-à-dire celle d'un média composite (multimédias ?) dans lequel interviennent plusieurs autres médias: design de mobilier, aménagement de site, scénario, texte, documentation, graphisme, photo, typographie, procédés de fabrication, etc.

Entre ne rien faire ou en faire beaucoup, il n'y a guère d'autre alternative.

qualité et créativité
Un chroniqueur de quotidien dénonçait récemment la prolifération d' "exhibits didactiques", comme disent les Canadiens. "On ne peut plus rentrer dans une boulangerie pour y acheter sa baguette sans qu'on vous explique, sur un panneau, comment est fabriqué le pain, " disait-il.
Cette ironie salutaire nous rappelle en écho la réserve prudente de certains responsables d'espaces naturels, rencontrés au cours de nos visites, dont l'enthousiasme, pour installer de nouveaux parcours d'interprétation, était devenu plus mesuré.
Il est vrai qu'il y a un risque d'inflation de l'interprétation de tout poil dans les communes en mal d'alibis culturels et qu'il va falloir apprendre à doser cet engouement.
A cette notation mi figue-mi raisin, présente à notre esprit, nous ne pouvons qu'opposer d'abord une ambition de qualité.
Ne pas faire n'importe quoi, n'importe où.
Le parcours pédagogique de cette étude n'a pas d'autre but que cette perspective.
Mais l'exemple des Étangs du Romelaere suggère une autre attitude avec ses panneaux silencieux qui sollicitent le regard vers le site.
Une manière discrète de privilégier la découverte personnelle à partir de simples impulsions.
Ne renfermerait-elle pas aussi une invitation à repenser constamment l'interprétation et maintenir en éveil sa créativité ?

Jean Toche